Tantôt, comme dans l’entretien avec la maréchale de Broglie, c’est un jeune Mexicain qui, las de son travail, se promène un jour au bord du grand Océan ; il voit une planche qui d’un bout trempe dans l’eau et de l’autre pose sur le rivage ; il s’y couche, et, bercé par la vague, rasant du regard l’espace infini, les contes de sa vieille grand’mère sur je ne sais quelle contrée située au-delà et peuplée d’habitants merveilleux lui repassent en idée comme de folles chimères ; il n’y peut croire, et cependant le sommeil vient avec le balancement et la rêverie, la planche se détache du rivage, le vent s’accroît, et voilà le jeune raisonneur embarqué. Il ne se réveille qu’en pleine eau. […] A la manière dont Diderot sentait la nature extérieure, la nature pour ainsi dire naturelle, celle que les expériences des savants n’ont pas encore torturée et falsifiée, les bois, les eaux, la douceur des champs, l’harmonie du ciel et les impressions qui en arrivent au cœur, il devait être profondément religieux par organisation, car nul n’était plus sympathique et plus ouvert à la vie universelle. […] C’est une rétractation partielle, une rectification de ce que j’avais écrit précédemment dans un article du Globe, dont je reproduis ici le début : « Il y a dans Werther un passage qui m’a toujours frappé par son admirable justesse : Werther compare l’homme de génie qui passe au milieu de son siècle, à un fleuve abondant, rapide, aux crues inégales, aux ondes parfois débordées ; sur chaque rive se trouvent d’honnêtes propriétaires, gens de prudence et de bon sens, qui, soigneux de leurs jardins potagers ou de leurs plates-bandes de tulipes, craignent toujours que le fleuve ne déborde au temps des grandes eaux et ne détruise leur petit bien-être ; ils s’entendent donc pour lui pratiquer des saignées à droite et à gauche, pour lui creuser des fossés, des rigoles ; et les plus habiles profitent même de ces eaux détournées pour arroser leur héritage, et s’en font des viviers et des étangs à leur fantaisie.