Je me disais qu’après une vie agitée et peut-être avant les orages et les mécomptes de cette vie, il serait doux d’avoir son tombeau sous ces orangers, d’y dormir ou d’y rêver, car l’homme est si essentiellement un être pensant qu’il ne peut croire au sommeil sans rêve, même de la tombe ; j’y écoutais mourir le sourd murmure de la grande ville qui s’assoupissait à mes pieds, semblable au bruit d’une mer qui diminue à mesure qu’on s’élève sur le promontoire ; j’y regardais les derniers rayons du soleil, dorant comme des phares les pans de murailles jaunies du Colisée. […] Pendant ce doux loisir du père, le jeune Torquato continuait ses études à Bergame, dans la maison d’une grande dame de la famille des Tassi, qui traitait l’enfant comme son fils. […] Le départ de Bernardo Tasso pour Venise, où il rappela bientôt son fils auprès de lui, interrompit malheureusement, après deux ans de repos, cette douce intimité. […] Pour ses aliments, il n’aimait que les choses légères, douces, sucrées ; il avait une invincible répugnance à tout ce qui était fort ou amer ; il ne buvait que de l’eau légèrement coupée des vins liquoreux de Grèce et de Chypre ; tout était tempéré dans ses goûts comme dans son âme. […] Son entretien avait la grâce, le demi-jour et la douce intimité de sa vie ; cette tristesse attendrissait les cœurs, mais la piété de son âme, toute consacrée aux pensées divines, décourageait l’amour.