Ses pièces étant soumises, une à une, aux plus dures épreuves, certaines étant rejetées et remplacées par d’autres, elle aurait le sentiment d’un manque çà et là, et d’une douleur partout. […] En vain nous ferions observer que dans la série animale cette souffrance est loin d’être ce que l’on pense : sans aller jusqu’à la théorie cartésienne des bêtes-machines, on petit présumer que la douleur est singulièrement réduite chez des êtres qui n’ont pas une mémoire active, qui ne prolongent pas leur passé dans leur présent et qui ne sont pas complètement des personnes ; leur conscience est de nature somnambulique ; ni leurs plaisirs ni leurs douleurs n’ont les résonances profondes et durables des nôtres : comptons-nous comme des douleurs réelles celles que nous avons éprouvées en rêve ? […] Quant à la souffrance morale, elle est au moins aussi souvent amenée par notre faute, et de toute manière elle ne serait pas aussi aiguë si nous n’avions surexcité notre sensibilité au point de la rendre morbide ; notre douleur est indéfiniment prolongée et multipliée par la réflexion que nous faisons sur elle. […] On alléguera que le tout eût pu être différent, et tel que la douleur n’en eût pas fait partie ; que par conséquent la vie, même si elle est bonne, eût pu être meilleure.