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1860. (1875) Premiers lundis. Tome III «  Chateaubriand »

Je voudrais avoir le temps de vous expliquer tout cela, et de vous le faire sentir, pour chasser vos poltronneries ; mais je n’ai qu’un moment à vous donner aujourd’hui, et je ne veux pas différer de vous dire combien vous êtes peu raisonnable dans vos défiances. […] La religion de René, qui n’est que dans l’imagination et qui ne régénère pas le cœur, ressemble fort aussi à celle qui a régné dans le premier tiers de ce siècle ; on en était aux regrets du passé et à ne plus le maudire ; on n’avait plus pourtant la force ou la faiblesse de croire, on aspirait à un avenir incertain dont on ne se formait pas l’idée, et l’on se berçait ainsi, avec soupirs et gémissements, sur un nuage de sentiments contradictoires qui ne donnaient aucun fonds à la vie, aucun point d’appui à l’action. Le petit livre de René garde l’honneur d’avoir, le premier, et du premier coup, trouvé une expression nette et précise à ce qui semblait indéfinissable ; il a même donné cette expression tellement noble, flatteuse et séduisante, qu’il a pu sembler dangereux à son heure. […] Mais trop pressé déjà par le temps, trop appelé et tenté par la politique et par ses passions dévorantes, il se hâta de dresser le monument de son souvenir ; il fit ses personnages un peu roides ; il les drapa : au lieu de donner le ton cette fois, il semble avoir suivi lui-même le goût des peintres de l’Empire.

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