Cette nation qu’avait ébauchée avant lui le Grand Électeur, il acheva de la former, de lui donner un corps, de lui imprimer l’unité d’esprit : la Prusse n’exista réellement qu’au sortir de ses mains. […] « Il n’est pas donné à tout le monde, lui disait-il, de faire rire l’esprit. » On ne saurait mieux rendre cette espèce d’attrait, de don lumineux et jaillissant particulier à Voltaire. […] Par un reste de culte et, si l’on veut, d’idolâtrie encore touchante, dans toutes les comparaisons qu’il établit entre eux deux, toujours il donne l’avantage à Voltaire, et d’un ton senti dont la sincérité n’est pas suspecte. […] Un jour qu’il se promenait avec lui dans les jardins de Sans-Souci, Frédéric cueille une rose et la lui présente en disant : « Je voudrais bien vous donner mieux. » Ce mieux, c’était la présidence de son Académie : il est singulier de voir ainsi rapprochées une présidence d’Académie et une rose. […] Notre raison est trop faible pour vaincre la douleur d’une blessure mortelle ; il faut donner quelque chose à la nature, et se dire surtout qu’à votre âge comme au mien on doit plutôt se consoler, parce que nous ne tarderons guère de nous rejoindre aux objets de nos regrets.