C’est que si Tristan et Isolde avaient vraiment la prétention de nous enseigner la philosophie de Schopenhauer, il n’y aurait qu’à les renvoyer à l’école pour mieux apprendre leur leçon, car toute leur vie, tous leurs actes, toutes leurs paroles sont en contradiction flagrante avec la doctrine du philosophe. S’ils étaient des adeptes de la philosophie de Schopenhauer, ils sauraient dompter la passion qui les ronge, puisqu’ils sauraient que l’amour n’est qu’un leurre tendu par la nature pour la préservation du genre aux dépens de l’individu (Die Welt als Wille… II, 638) ; ils ne se répandraient pas en plaintes interminables, puisque leur maître enseigne qu’il faut bénir les souffrances (1, 468) ; et surtout ils n’appelleraient pas constamment la mort, puisque rien n’est plus contraire aux principes et aux doctrines de l’école. […] Sa doctrine éthique est la Résignation, ce qu’il nomme volontiers la Sainteté ; il explique l’amour passionné qui mène à la mort quand il ne peut assouvir ses désirs, comme une aberration, comme un manque d’équilibre entre les forces de l’individu et la nécessité de perpétuer le genre (II, 636). […] Jullien, par exemple5, commence son étude sur Tristan en nous disant : « Son esprit, porté vers les spéculations philosophiques et jusqu’alors imbu surtout des doctrines panthéistiques de Hegel et de Schelling… » (148) ; c’est de la pure invention. […] Et toute question de doctrines métaphysiques à part, il faut bien reconnaître que Schopenhauer est le premier philosophe qui ait tenté une esthétique satisfaisante de l’art, et qui ait reconnu à la musique la place qui lui revient de fait.