J’imagine un temps, encore lointain, où, toutes les littératures ayant parcouru leur cycle naturel, le critique, accablé sous la masse énorme des choses écrites, serait obligé de ne retenir que les œuvres clairement caractéristiques des différents génies nationaux aux diverses époques : il me semble que l’œuvre de Racine aurait alors une autre importance et un autre intérêt que celle de son grand rival. […] Ces « modulations » diverses, M. […] Deschanel démonte avec beaucoup d’adresse l’admirable tragédie de Phèdre, nous fait toucher du doigt comment elle est composée, ce qu’elle garde d’Euripide et de Sénèque, ce que Racine y a mis du sien. « L’édifice a trois étages, trois ordres, dont les provenances diverses s’accusent dans la conception et dans le style : l’ordre attique, l’ordre romain, l’ordre français ; je dis trois ordres de poésie et de civilisation55 ». Est-il vrai que les provenances diverses des trois ordres « s’accusent dans la conception et dans le style » ? […] Néanmoins Racine connaît assez bien l’histoire, entrevoit la différence des milieux et des civilisations et comment ces différences se trahissent dans le caractère des hommes66 ; et tout cela, il cherche à le reproduire exactement ; mais, comme il étudie exclusivement le mécanisme des sentiments et des passions et élimine de parti pris presque tout le pittoresque de la vie humaine, sa « couleur locale » reste tout intérieure, toute psychologique, et est, par suite, moins saisissante : car c’est peut-être surtout par le détail des mœurs et des habitudes extérieures que se différencient les hommes des diverses époques et des divers milieux.