Il est doux en effet et commode de se dire de bonne heure : tout ce qui est grand est fait ; tous les beaux vers sont faits ; tous les discours sublimes sont sortis : il n’y a plus, à qui vient trop tard et le lendemain, qu’à lire, à relire, à admirer, à goûter et déguster, à se tenir tranquille et coi en présence des modèles, à mettre sa supériorité à les trouver supérieurs à tout ce qui s’est tenté depuis, à tout ce qui se tentera désormais. […] Aussi ne marche-t-on qu’avec eux, en s’appuyant sur eux, sur ce qu’ils ont dit ; on a dans la mémoire toutes sortes de belles ou jolies sentences, recueillies à loisir et qu’on tient à placer ; on dirige tout son discours, on incline tout son raisonnement pour amener une phrase de Quintilien, pour insinuer une pensée de Cicéron, et l’on est tout content d’avoir échappé ainsi à penser par soi-même et en son propre nom.