La Chanson de Roland d’abord, si grandiose dans sa rudesse, si héroïque de souffle, si impériale et nationale, si admirablement fraternelle dans l’union des deux amis, si sincèrement magnanime par elle-même, et à laquelle il n’a manqué qu’un digne metteur en œuvre, un meilleur Turold ; le Roman de Raoul de Cambrai, que je place à côté, non pour l’imagination, mais pour le cachet historique sévère, franchement féodal, et pour l’intérêt sérieux du sujet. […] Les poètes connus viendront dans l’âge suivant ; mais le plus souvent, au lieu de s’appliquer à de dignes et sévères sujets, ils s’amuseront alors à des inventions purement romanesques, aux romans dits d’aventures. […] Tout en concevant le dédain qu’auront tout à l’heure les hommes de la Renaissance, et nourris des pures grâces d’Aristophane, pour cette poésie domestique de coin du feu et de cuisine, poésie de ménage et digne du voisinage des Halles, nous ne devons pas le partager. […] Pour remettre les choses de l’esprit, dans notre idiome vulgaire, en digne et haute posture, il était besoin d’un sursaut, d’un assaut, d’un coup de main vaillant dont Marot et ses amis n’étaient pas capables, d’un coup de collier vigoureux ; car c’est ainsi que j’envisage, c’est par ces termes expressifs que j’aime à caractériser la Poétique de Du Bellay et de Ronsard, Poétique toute de circonstance, mais qui fut d’une extrême utilité.