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826. (1848) Études sur la littérature française au XIXe siècle. Tome III. Sainte-Beuve, Edgar Quinet, Michelet, etc.

Quand vous aurez su vous familiariser avec un fuseau qui, en plongeant dans l’abîme, pelotonne une étoile bénie, avec des fées qui tricotent des étoiles, avec des griffons qui ont entendu cette nuit hennir l’éternité du côté de Bethléem, avec des dieux morts qui pendillent à la voûte de l’éternité, avec des yeux qui pleurent de dures larmes de géant, avec la plainte venimeuse d’une planète, avec un délire éternel qui flagelle le cœur ; quand, à force de manier ces expressions, qui sont plus dures en vérité que des larmes de géant, votre imagination en aura contracté une sorte de calus, alors nous pourrons lui donner à toucher des choses plus dures encore : elle pourra, plus hardiment, se mesurer avec l’étoile des mages, qui, partout où elle passe, trouve sa boisson de rosée préparée, avec le néant qui se relève en un sursaut, à moitié sur son séant, pour essayer de suivre cette étoile, avec la mer qui met à son doigt l’anneau d’or tombé de la main des mages, avec l’enfant Messie renversant dans son étable le pays d’Orient comme une jatte pleine de lait, avec un aigle qui déchiquète avec ses ongles son lambeau sanglant d’éternité, avec le désert qui se met en route pour sauver Jésus, avec la curiosité qui s’informe d’un nom pour le jeter sur le nuage qui passe, avec la dogmatique qui se réveille en peignant ses cheveux d’or, avec la beauté de l’amante du poète, beauté telle que pas une ville, dans un jour de fête, n’est si remplie que l’escalier où elle monte chaque jour, enfin avec la création des mondes représentée (par un démon, il est vrai) comme un passe-temps de Jéhovah, qui fait des ronds en crachant dans le puits de l’abîme. […] Mais, dans la plénitude des temps, Thèbes l’égyptienne se réveille, Babylone, la vieille Ninive, Persépolis, Saba, Palmyre, s’appellent du haut de leurs tours, du fond de leurs ruines ; elles se confient la caducité de leurs religions, la mort de leurs dieux. Ne pourrait-on pas de tous ces dieux ensemble faire un Dieu nouveau ? […] L’âme des hommes, dit-il, était morte dans leur sein ; et ils attendaient encore debout qu’une pensée, une espérance, quelque nom, quelque dieu oublié, vînt ranimer leur vie dans leur poitrine.

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