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400. (1902) Les poètes et leur poète. L’Ermitage pp. 81-146

Enfin, pour en faire un dieu aux attributs sans limites, le mage gros de science et d’avenir, les universitaires l’ont accaparé : cela le classe et son génie. […] Mais tous, chacun pour son charme ou pour la joie infime retrouvée à leur lecture, et mes sympathies sont tout aussi bien au poète inconnu — ou méconnu — qui chanta dans la solitude de sa province lointaine, qu’à tel autre sacré dieu — ou plus. — Mais puisque question il y a : Verlaine, entre tous, Verlaine pour avoir tenté et presque accompli la synthèse poétique de la philosophie de Vigny avec l’impertinente grâce de Musset. — Fêtes galantes et Poèmes Saturniens — la grandiloquence de Hugo — les Voix — et les glorieuses hontes de Villon — Liturgies intimes — notre Verlaine enfin parce que Roi et vraiment le seul. […] Tu sus faire chanter les flûtes pastorales Et, lorsque tu soufflas aux conques de la mer, Le tumulte des flots et l’ouragan amer Vibrèrent à ton souffle en toutes leurs spirales, Comme si quelque dieu commandait à la Mer. […] Nul homme n’étant l’expression intégrale d’un siècle — et c’est tant mieux, en somme, pour l’humanité tout entière, qui n’a toujours que trop pâti des héros et des dieux — je ne vois guère qui je pourrais appeler exclusivement mon poète en ce temps saturé de journalisme. […] Malgré la sensibilité charmante des premiers livres de Sully Prudhommeh, et la sereine beauté des sonnets de Herediai, malgré le lyrisme de Vielé-Griffin dans les poèmes que je comprends, la tenue d’art des livres d’Henri de Régnier, l’emportement magnifique de Verhaeren, la mélancolie de Rodenbach et la délicatesse pénétrante d’Albert Samain, malgré la belle impeccabilité de Moréas, dans le petit Panthéon que je m’étais construit nul poète n’a pris la place ou trônèrent successivement Hugo, Musset, le divin Lamartine et Verlaine qui ne marcha pieds nus comme les dieux que parce qu’il était de la race des Immortels 1 !

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