Un jour, un étranger demanda à Mme Geoffrin ce qu’était devenu ce vieux monsieur qui assistait autrefois régulièrement aux dîners et qu’on ne voyait plus ? […] Mme de Tencin remuait ciel et terre pour faire de son frère un Premier ministre : Mme Geoffrin laissa de côté la politique, ne s’immisça jamais dans les choses de religion, et, par son art infini, par son esprit de suite et de conduite, elle devint elle-même une sorte d’habile administrateur et presque un grand ministre de la société, un de ces ministres d’autant plus influents qu’ils sont moins en titre et plus permanents. […] S’étant de bonne heure posée en vieille femme et en maman des gens qu’elle reçoit, elle a un moyen de gouvernement, un petit artifice qui est à la longue devenu un tic et une manie : c’est de gronder ; mais c’est à faire à elle de gronder. […] Elle a fait son éducation sous la fameuse Mme de Tencin, qui lui a donné pour règle de ne jamais rebuter aucun homme ; car, disait l’habile matrone, « quand même neuf sur dix ne se donneraient pas un liard de peine pour vous, le dixième peut vous devenir un ami utile ». […] On répète toujours que Thomas est enflé ; mais nous-mêmes nous sommes devenus, dans notre habitude d’écrire, si enflés, si métaphoriques, que Thomas relu me paraît simple.