Lui ayant demandé d’où venaient les compagnons, il me répondit ainsi en mauvais français : « Nous venons de la bataille de M. de Montbrun. […] Ce n’est pas seulement aux nobles et aux chevaliers qu’il s’adresse : Je demande aussi à tous ceux qui savent les noms de plusieurs simples soldats que j’ai marqués comme j’ai pu, pour avoir commencé l’impulsion dans un combat, servi de guide à une brèche, ou mis le premier le genou sur les créneaux ou retranchements, qu’il leur plaise m’aider de tels noms sans avoir égard à la pauvre extraction et condition ; car ceux-là montent davantage qui commencent de plus bas lieu. […] Quand on voit ces belles et sérieuses parties dans l’historien, on se demande pourquoi il n’a pas mieux réussi dans sa carrière totale et politique, pourquoi il n’a pas servi avec plus de suite ; et c’est ici qu’il faut en revenir au caractère et à l’humeur de l’homme. […] Un jour qu’il avait écouté ses excuses et ses raisons, qui consistaient à prétendre rester d’autant plus fidèle à la cause des faibles et des vaincus, Henri IV lui demanda s’il connaissait le président Jeannin, et sur ce que d’Aubigné répondit que non, le roi poursuivit : « C’est celui sur la cervelle duquel toutes les affaires de la Ligue se reposaient ; voilà les mêmes raisons desquelles il me paya ; je veux que vous le connaissiez, je me fierais mieux en vous et en lui qu’en ceux qui ont été doubles. » Et toutefois, nous qui avons récemment étudié le président Jeannin, nous savons trop bien en quoi il différait essentiellement de d’Aubigné : celui-ci, par point d’honneur, par bravade, par une sorte de crânerie ou d’esprit de contradiction qu’il était homme ensuite à soutenir à tout prix, excédait sans cesse ce que le devoir seul et la fidélité aux engagements eussent conseillé.