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11. (1874) Premiers lundis. Tome II « Jouffroy. Cours de philosophie moderne — II »

Cousin, que l’humanité se développe à la manière de l’individu ; que les périodes de l’une répondent aux âges de l’autre ; que dans son enfance elle débute par la spontanéité et la religion, pour arriver dans son âge mûr à la réflexion et à la science, il est bien vrai, en ce sens, de dire que la destinée de l’espèce peut se lire en raccourci dans celle de l’individu ; mais, après quelques rapprochements ingénieux, quelques perspectives neuves du passé, il faut bientôt quitter ce point de vue trop hasardeux, trop vague, et duquel on ne tire rien de certain ni de vivant sur l’avenir. […] Mais si, comme nous n’en doutons pas, l’humanité est autre chose qu’une collection et qu’une succession d’individus ; si elle existe et vit par elle-même en présence de la nature ; si, comme la nature et à un plus haut degré encore, elle est une manifestation incessamment perfectible de Dieu ; si l’humanité, en un mot, vit et se développe en Dieu, et l’homme dans l’humanité, à plus forte raison alors ne sera-t-il pas permis d’isoler l’homme et de l’interroger uniquement dans son moi pour lui faire rendre l’oracle de la destinée sociale et humaine, destinée qui aura recouvré en ce cas son acception la plus profonde et la plus sublime. […] Alors l’homme élu. dans les entrailles duquel toutes les souffrances de l’humanité doivent retentir ; qui doit sentir en son sein s’amasser douloureusement un amour immense ; qui doit concevoir en sa tête féconde la forme nouvelle, plus large et plus heureuse, de l’association humaine ; cet homme vraiment divin, ce poëte, cet artiste, ce révélateur fils de Dieu, est déjà né ; que ce soit Moïse, Orphée, Jésus, Confucius ou Mahomet, il grandit, se développe miraculeusement, se perfectionne avant tous ses contemporains ; véritable fruit providentiel, il mûrit et se dore sous un soleil encore voilé pour d’autres, mais dont la chaleur lui arrive déjà, à lui, parce qu’il est au foyer de l’univers, et qu’il ne perd pas un seul des rayons de Dieu. […] Lorsque l’humanité est arrivée à la conscience distincte d’elle-même et à la connaissance de sa propre loi, l’institution se prévoit dès l’origine et se réalise avec bien plus de préméditation qu’aux époques où les choses se développent instinctivement et obéissent à une force d’évolution plus obscure. […] Jouffroy, reprenant dans une dernière leçon l’opinion qu’il avait émise sur l’avenir de l’humanité, l’a de nouveau exposée et développée avec une admirable largeur de talent.

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