Fénelon l’avertit toutefois de prendre garde et de ne pas trop se livrer à sa pente : il croit utile que le bon duc ait quelquefois entretien avec un autre que soi, avec quelqu’un de simple, de pieux, de sincère : « Cette personne, lui dit-il, vous consolerait, vous nourrirait, vous développerait à vos propres yeux et vous dirait vos vérités. » On a beau se persuader qu’on se dit à soi-même ses vérités, on n’y atteint jamais complètement ni par le coin le plus sensible : « Une vérité qu’on nous dit nous fait plus de peine que cent que nous nous dirions à nous-même : on est moins humilié du fond des vérités que flatté de savoir se les dire. » En attendant que le duc de Chevreuse ait trouvé de près ce quelqu’un pour lui rendre ce service, Fénelon le lui rend de loin tant qu’il peut, en lui parlant sans réticence, sans ménagement ; il lui expose d’une manière sensible son grand défaut, ce beau défaut tout curieux, tout intellectuel ; il le lui étend avec ses replis et le lui fait toucher au doigt : Plus une vie est profonde, délicate, subtile et spécieuse, plus on a de peine à l’éteindre. […] Vers la fin, et malgré les louanges obligées, les défauts de ce régime étaient sensibles à tous les esprits qui réfléchissaient, et sautaient à tous les yeux qui savaient voir. […] Mais alors, et sans qu’il fût besoin de plus d’information, tous les gens sensés et honnêtes, les Fénelon, les Vauban, les Catinat, voient les défauts et cherchent, chacun de son côté, les remèdes dans des contrepoids, et dans le contrepied de ce qui est.