Cependant le père de Bonstetten était alarmé ; il craignait pour son fils ainsi exposé au contact des idées et des passions genevoises, absolument comme un père aurait craint pour son fils exposé dans le Paris de 89 à la contagion révolutionnaire. […] On put craindre par moments qu’il n’attentât à ses jours, et il paraît y avoir en effet songé. […] Croissez, comme j’ai vu ce palmier de Latone, Alors qu’ayant des yeux je traversai les flots ; Car jadis, abordant à la sainte Délos, Je vis près d’Apollon, à son autel de pierre, Un palmier, don du ciel, merveille de la terre : Vous croîtrez comme lui… Après avoir tenté inutilement de l’acclimater à Berne, le trésorier de Bonstetten permit à son fils de se rendre en Hollande à l’université de Leyde, mais sous la condition expresse qu’il n’y étudierait pas la philosophie : il craignait que ce regard aux choses du dedans ne nuisît à l’observation des faits du dehors ; mais Bonstetten était assez éveillé pour suffire aux deux sortes de vue. […] Il paraît avoir craint qu’un si grand mouvement d’idées ne finît par quelque dérangement d’esprit. […] Il faut ou bien qu’il ait l’esprit dérangé (ce qui est trop possible), ou qu’il ait fait quelque étrange chose qui aura exaspéré toute sa famille et ses amis de là-bas, ce qui (je le crains) est également possible.