Dans la parole intérieure, il suffit que nous soyons compris de nous-mêmes : nous pouvons donc parler très bas, très vite, peu distinctement, abréger les phrases, remplacer les tournures et les expressions usuelles par d’autres plus simples ou plus expressives à notre goût, modifier la syntaxe, enrichir le vocabulaire par des néologismes ou des emprunts aux langues étrangères ; nous pouvons nous exprimer à nous-mêmes la nuance toute personnelle de nos sentiments par des termes dont nous créons le sens à notre usage, nous représenter des fragments considérables de notre passé, ou des vues d’ensemble sur notre avenir, par des expressions brèves qui reçoivent d’une convention tacite faite avec nous-mêmes cette force et cette ampleur de signification. […] Si enfin il s’obstine dans son effort infructueux, deux habitudes indépendantes peuvent se créer et coexister en lui, l’une, involontaire et purement musculaire, de mal parler extérieurement, l’autre, volontaire et psychique, de bien parler intérieurement. […] Nous avons admis plus haut que l’habitude jointe à l’attention peut créer parmi les hommes, des différences individuelles en ce qui concerne l’image tactile ; or les habitudes ne sont pas seulement individuelles, elles peuvent être aussi collectives ; il nous semble que les peuples diffèrent à cet égard comme les individus, et que le tactum buccal est mieux conservé chez certains d’entre eux que chez les autres. […] D’ailleurs, à l’âge où l’esprit peut s’observer, la perception externe se fait sans tâtonnement et sans effort ; depuis longtemps, le monde extérieur a été créé par notre pensée, et, quand nous l’affirmons, nous ne faisons plus que le reconnaître ; depuis longtemps, les signes de l’extériorité nous sont à tel point familiers que nous les interprétons constamment à notre insu ; l’habitude est enracinée en nous d’externer certaines classes de nos états ; nous la suivons sans la connaître, esclaves aveugles de notre passé. […] L’observation du moment présent, c’est l’observation de conscience des anciens psychologues ; exemple : mouvoir son bras, uniquement pour observer la volonté motrice ; c’est là une expérimentation, car nous créons le fait que nous observons et pour l’observer.