C’est plus qu’un homme de génie qui trouve sa voie, et un grand écrivain qui crée sa langue : c’est la France elle-même, qui, après avoir montré dans Descartes tout ce qu’elle a de puissance intellectuelle, dans Pascal tout ce qu’elle a d’âme, dans Bossuet toutes ses grandes qualités à la fois dans leur force native et leur culture la plus achevée, apparaît dans Montesquieu découvrant les vérités premières et créant la langue de la science sociale. […] « Peu à peu, dit-il, les matières molles dont les éminences étaient d’abord composées ont fait ces énormes amas de rochers et de cailloux d’où l’on tire le cristal et les pierres précieuses… Toutes sont posées par lits… Les plus pesantes sont dans les argiles et dans les pierres, et elles sont remplies de la matière même des pierres et des terres où elles sont renfermées ; preuve incontestable qu’elles ont été transportées avec la matière qui les environne et qui les remplit… » Ainsi, Buffon crée ce qu’il suppose ; il assiste à ce qu’il prévoit, et ses raisonnements sont comme une suite de tableaux qui se déroulent sous ses yeux, plutôt attentifs à des faits qui s’accomplissent qu’éblouis par une vision. […] Supérieur à la fois dans le roman et au théâtre, il a inventé des caractères et créé des personnages presque plus populaires que leur père. […] De deux auteurs dont l’un ne sait pas donner la vie à ce qu’il trouve, et dont l’autre crée ce qu’il imite, l’inventeur, c’est le dernier. […] J’ai grand’peur que, pour former son élève imaginaire, Quintilien n’ait créé qu’un maître chimérique.