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384. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIV. La littérature et la science » pp. 336-362

Dans les périodes réalistes, la science, qui constate, accumule et ordonne des faits réels, triomphe et fait invasion sur le territoire de sa voisine ; dans les périodes idéalistes, la littérature, qui ne peut créer la beauté sans avoir devant les yeux un idéal, prend sa revanche et ressaisit une partie du terrain conquis. […] Les alchimistes d’autrefois cherchaient dans leurs alambics le moyen de faire de l’or ; Lavoisier y trouve, y crée mieux que cela : une science, riche de jeunesse et d’avenir, qui s’appelle la chimie. […] Les plus savants d’entre eux seraient ravis autant qu’étonnés de voir courant les Revues et même les rues des centaines de mots dont ils ne comprendraient pas le sens : mots désignant tantôt des matières récemment découvertes (gallium, sodium, gaz acétylène, etc.), tantôt des machines créées par l’industrie (locomotives, microphones, cinématographes, etc.), tantôt même des sciences dont ils n’avaient aucune idée (biologie, météorologie, sociologie, que sais-je encore). […] Et bientôt c’est, dans la philologie, l’érudition lourde d’ennui qui sait à merveille corriger un texte, mais non plus en sentir la grandeur ou la grâce ; dans l’histoire, la monographie substantielle et indigeste qu’on estime et ne lit pas ; dans la philosophie, la peur des vastes synthèses et la mise sous scellés de la métaphysique et de ses éternels problèmes ; dans le roman, au théâtre, la décroissance de la verve inventive, la froideur, la sécheresse, la vulgarité du terre à terre, l’impuissance à créer un type supérieur ; en toute matière, le style pesant, épais, scolastique, engrisaillé de termes abstraits ou hérissé de vocables rébarbatifs ; bref, tout ce que comprend d’étroit, de rogue, de fastidieux, de glacé, de mort le mot de pédantisme.

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