Il ferait un singulier premier ministre à cette date et au milieu d’une telle Cour. […] À un autre endroit, se montrant, non pas avare mais homme d’ordre et d’économie, qui aime mieux améliorer ses terres que de les étendre, et conserver son bien que de convoiter celui d’autrui, il ajoute sans qu’on soit tenté de le contredire : « Je me crois le contraire de Catilina, dont Salluste dit, etc. » Quand il se considère ainsi en face et qu’il s’applique à se définir lui-même, d’Argenson se peint à nous, mais moins bien que lorsqu’il se compare et s’oppose à son frère, plus homme de Cour et futur ministre également. […] Cependant voilà le malheur du Français : on prend pour médecins des gens d’imagination (Silva), et pour ministres les robins qui ont le plus fréquenté la Cour, c’est-à-dire ceux qui ont le plus perdu leur temps et qui ont le plus négligé les pauvres et la justice. […] Or rien n’est si à propos que de s’attirer dans le monde la même espèce de considération par où sa race est connue ; il y faut conserver les qualités comme le nom et les armes : d’où je conclus que nous sommes bien étrangers dans le monde par l’intrigue de Cour, et par ce machiavélisme italien qui réussit peu dans les grandes choses, ou y succède mal tôt ou tard. […] Ce que nous avons aujourd’hui d’hommes d’esprit à la Cour ou à la ville ne le sont qu’avec une telle malignité, qu’ils ressemblent à des singes ou à des diables qui ne prennent leur plaisir qu’au mal d’autrui et à la confusion du genre humain ; et s’il leur reste quelque franchise, c’est pour ne pas cacher leurs grands défauts, de malice.