Quoique nous pliions sous l’influence de Goethe qui a replacé, prétend-on, les anciens dans leur vraie lumière, nous, c’est-à-dire tous, n’avons ni pour Virgile, ni pour aucun ancien, excepté Tacite qui se rapproche de nous par la haine éternelle du pouvoir chez l’homme et l’insultante manière de juger nos maîtres, l’intérêt animé et sincère qui répond par un frémissement ou une palpitation à chaque coup de scalpel porté dans l’œuvre du grand écrivain-Les raisons de cette indifférence sont nombreuses. […] L’auteur de l’Étude sur Virgile aurait du coup, et pour la dernière fois, effacé et rendu désormais impossibles toutes ces comparaisons du plus au moins, éternisées entre Virgile et Homère. […] Virgile, sous le coup de la tradition, n’inventait donc pas et ne pouvait pas inventer. […] Il aimait les lettres, même dans ses ennemis ; parce qu’il était avant tout un voluptueux de lettres ; mais, comme tous les voluptueux, écorchés par le pli de la rose du sybarite, il était cruel ; et au meilleur endroit, c’est-à-dire à celui qu’il présumait le plus sensible, il donnait son coup de dent de rat, et il attendait trente ans, s’il le fallait, pour mieux l’enfoncer. […] Aussi le légataire qui met Sainte-Beuve lui-même dans son legs, et qui avait gratté déjà le vieux tiroir et publié une série de premières lettres, l’a-t-il raclé pour le coup et a-t-il publié les Lettres à la Princesse, lesquelles ne sont pas seulement l’exploitation du nom de Sainte-Beuve qui les a signées, mais l’exploitation d’un autre nom qui n’y est pas ?