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815. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Vernet » pp. 130-167

Nous sommes dans la nature, nous y sommes tantôt bien, tantôt mal, et croyez que ceux qui louent la nature d’avoir au printemps tapissé la terre de verd, couleur amie de nos yeux, sont des impertinens qui oublient que cette nature, dont ils veulent retrouver en tout et partout la bienfaisance, étend en hiver sur nos campagnes une grande couverture blanche qui blesse nos yeux, nous fait tournoyer la tête et nous expose à mourir glacés. […] Mais comment feras-tu pour rendre, je ne dis pas la forme de ces objets divers ni même leur vraie couleur, mais la magique harmonie qui les lie ? […] Il était dans le lointain, à en juger par les objets interposés et la manière terne et grisâtre dont il était éclairé : proche de nous toutes les couleurs se distinguent, au loin, elles se confondent en s’éteignant, et leur confusion produit un blanc mat. […] Je ne me trompais pas ; mais comment vous en rendre l’effet et la magie, ce ciel orageux et obscur, ces nuées épaisses et noires, toute la profondeur, toute la terreur qu’elles donnaient à la scène, la teinte qu’elles jettaient sur les eaux, l’immensité de leur étendue ; la distance infinie de l’astre à demi voilé dont les rayons tremblaient à leur surface ; la vérité de cette nuit, la variété des objets et des scènes qu’on y discernait, le bruit et le silence, le mouvement et le repos, l’esprit des incidens, la grâce, l’élégance, l’action des figures ; la vigueur de la couleur, la pureté du dessin, mais surtout l’harmonie et le sortilège de l’ensemble ? […] En comparant les tableaux qui sortent tout frais de dessus son chevalet, avec ceux qu’il a peints autrefois, on l’accuse d’avoir outré sa couleur.

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