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1236. (1890) Nouvelles questions de critique

De même encore, après avoir choisi, pour les représenter, parmi les scènes de la vie quotidienne, les plus banales ou les plus vulgaires, pourquoi semblent-ils avoir pris un plaisir de dilettante à charger les couleurs ou les traits de leurs modèles ? […] Sous la fixité voulue de son regard, les objets se déforment et les proportions s’en altèrent ; ils prennent insensiblement les contours et les couleurs du rêve son œil les magnétise, et, en les magnétisant, les anime d’une autre vie que la leur. […] On ne devient point idéaliste ou naturaliste, on l’est ou on ne l’est pas ; la volonté n’y peut pas plus qu’à la forme du visage ou la couleur des cheveux. […] Assurément, si l’on prétend parler en métaphysicien, les qualités des corps, la couleur ou l’odeur n’existent, comme odeur et comme couleur, qu’autant qu’elles affectent nos sens ; et l’on peut dire, si l’on veut, que dans un paysage, c’est nous, c’est la disposition particulière de notre âme qui insinue ce que nous y croyons voir. Mais, en fait, dans la vie et dans l’art, il en est autrement ; et, par exemple, sur une plage déserte, sous un ciel bas et noir, en un jour d’hiver, si vous mettez le plus jovial des hommes en présence d’une mer furieuse et démontée, il arrivera rarement que ce spectacle lui suggère des idées couleur de rose.

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