Tandis que d’autres écrivains de la chaire, par des traits trop timides ou des couleurs trop sombres, ont l’air de n’oser nous les montrer, ou de vouloir nous en faire des peurs d’enfant, Bossuet ne craint pas de se servir contre nos passions de l’intérêt même que nous prenons à les voir représentées au vrai. […] Mais il n’adopte de Descartes que ce qu’approuve le sens commun ; il ne s’embarrasse pas de résoudre par la logique des problèmes que le chrétien résout par la foi, et il répand les couleurs de la vie sur l’austère nudité de la langue de Descartes. […] L’austérité du ministère le gêne dans ses peintures, et, s’il cède souvent à cette force d’imagination qui lui présente la vie sous les plus belles couleurs, il semble se vouloir punir de cette complaisance en forçant le tableau de sa fragilité et de ses misères. […] C’est bien en effet Bossuet qui parle ; mais c’est Bossuet venant en aide à la faiblesse de plume de Jurieu et lui prêtant son imagination et ses couleurs, pour rendre à la fois plus claire la doctrine du théologien protestant, et sa propre réfutation plus éclatante. […] C’en est une marque incomparable, qu’ayant les qualités qui peuvent pousser un homme à toutes les témérités de l’invention, un esprit hardi, fécond, dominateur, une subtilité à embarrasser un saint Augustin, une imagination à donner un corps et des couleurs à des ombres, il se soit rangé tout d’abord, comme le plus humble du troupeau, à la discipline commune, à la tradition.