Je ne saurais dire pour mon compte à quel point je me suis senti souvent rebuté, choqué, jusque dans les plus belles pages d’amis bien éloquents, en voyant cet abus extrême qu’on fait aujourd’hui des grands hommes et tous ces demi-dieux despotiques qu’on inaugure en marbre ou en bronze sur le corps saignant de l’humanité qu’ils ont foulée. […] Quoi qu’il en soit, le jugement total de la vie publique et privée de Mirabeau laissait l’idée de quelque chose de grand mais d’énormément souillé, d’une grossière débauche avec des éclairs de passion divine, d’ure souveraine et libre parole avec des besoins cupides ; et sa mémoire comme son corps, tantôt au Panthéon et tantôt sur la claie ! […] Je foule aux pieds ses jugements ignorants et précipités par des passions d’emprunt…. ; et tant que santé et volonté me dureront, je serai Rhadamanthe, puisque Dieu m’y a condamné. » Ainsi parlait de lui-même, en style de Saint-Simon, ce représentant du xvie et du xviie siècle dans le xviiie , cette nature d’homme à la Montluc et à la d’Aubigné, vénérable jusque dans sa cruauté patricienne, cette volonté de fer dans un corps de fer. […] Au combat de Cassano, en effet, sous M. de Vendôme, il avait été blessé à la défense d’un pont ; et l’armée ennemie lui avait passé sur le corps ; sa tête n’échappa que grâce à une marmite de fer que son vieux sergent Laprairie, en fuyant, lui avait jetée à tout hasard pour le protéger.