Ce n’est pas qu’il n’ait par moments des velléités remarquables de grandeur et d’immortalité : Il est vrai que nous nous sentons une âme gigantesque et bien plus grande que notre corps. Chacun peut dire de soi : Mais ce n’est pas là l’âme de ce corps-là, — surtout quand on est à jeun et qu’on s’est modéré aux repas (d’Argenson mêle toujours la matière et les sens à ses considérations). […] On n’en était pas là encore ; on était à l’affût de ses fautes, qui ne se faisaient jamais attendre ; on n’eût pas été fâché de voir qu’il baissât de talent et d’esprit, et à tout hasard on s’empressait de le dire ; l’ouvrage peu agréable intitulé : Annales de l’empire offrait un prétexte, et à ce propos d’Argenson écrivait (juillet 1754) : L’on m’avait dit qu’il paraissait fort baissé dans cet ouvrage, et véritablement il devrait l’être, Voltaire ayant soixante ans et son corps ayant été le théâtre de tant d’agitations. […] [NdA] Pour bien comprendre cet endroit, il faut se rappeler une remarque qui revient souvent chez d’Argenson, à savoir que le courage spirituel est très distinct du courage corporel, et que Voltaire, qui a dans l’âme beaucoup de hardiesse et même de témérité, devient peureux et poltron dès qu’il s’agit du moindre danger pour son corps : il jette le gant et ne soutient pas la gageure.