À chaque moment de notre vie intérieure correspond ainsi un moment de notre corps, et de toute la matière environnante, qui lui serait « simultané » : cette matière semble alors participer de notre durée consciente 17. Graduellement nous étendons cette durée à l’ensemble du monde matériel, parce que nous n’apercevons aucune raison de la limiter au voisinage immédiat de notre corps : l’univers nous paraît former un seul tout ; et si la partie qui est autour de nous dure à notre manière, il doit en être de même, pensons-nous, de celle qui l’entoure elle-même, et ainsi encore indéfiniment. […] Il n’est pas douteux que notre conscience se sente durer, ni que notre perception fasse partie de notre conscience, ni qu’il entre quelque chose de notre corps, et de la matière qui nous environne, dans notre perception 19 : ainsi, notre durée et une certaine participation sentie, vécue, de notre entourage matériel à cette durée intérieure sont des faits d’expérience. […] Ceci posé, il est aisé de voir que nous avons tout intérêt à prendre pour « déroulement du temps » un mouvement indépendant de celui de notre propre corps. […] Mais si nous l’acceptons, si nous comprenons que ce soit du temps et non pas seulement de l’espace, c’est parce qu’un voyage de notre propre corps est toujours là, virtuel, et qu’il aurait pu être pour nous le déroulement du temps.