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217. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre cinquième. Le peuple. — Chapitre III »

Ils n’ont pas l’instrument intérieur qui divise et discerne ; ils pensent par blocs ; le fait et le rêve leur apparaissent ensemble et conjoints en un seul corps  Au moment où l’on élit les députés, le bruit court en Provence742 « que le meilleur des rois veut que tout soit égal, qu’il n’y ait plus ni évêques, ni seigneurs, ni dîmes, ni droits seigneuriaux, qu’il n’y ait plus de titres ni de distinctions, plus de droits de chasse ni de pêche ; … que le peuple va être déchargé de tout impôt, que les deux premiers ordres supporteront seuls les charges de l’État ». […] » — « Le paysan annonce sans cesse que le pillage et la destruction qu’il fait sont conformes à la volonté du roi. » — Un peu plus tard, en Auvergne, les paysans qui brûlent les châteaux montreront « beaucoup de répugnance » à maltraiter ainsi « d’aussi bons seigneurs » ; mais ils allégueront que « l’ordre est impératif, ils ont des avis que « Sa Majesté le veut ainsi743 »  À Lyon, quand les cabaretiers de la ville et les paysans des environs passent sur le corps des douaniers, ils sont bien convaincus que le roi a pour trois jours suspendu les droits d’entrée744  Autant leur imagination est grande, autant leur vue est courte. « Du pain, plus de redevances, ni de taxes », c’est le cri unique, le cri du besoin, et le besoin exaspéré fonce en avant comme un animal affolé. […] En 1789755, une grosse troupe de contrebandiers travaille en permanence sur la frontière du Maine et de l’Anjou ; le commandant militaire écrit que « leur chef est un bandit intelligent et redoutable, qu’il a déjà avec lui cinquante-quatre hommes, qu’il aura bientôt avec lui un corps embarrassant par la disposition des esprits et la misère » ; il serait peut-être à propos de corrompre quelques-uns de ses hommes, et de se le faire livrer puisqu’on ne peut le prendre. […] Ce n’est là encore qu’une légère idée des désordres que j’ai vus sous mes yeux764. » — « Excessive en elle-même, la misère des campagnes l’est encore dans les désordres qu’elle entraîne ; il ne faut point chercher ailleurs la source effrayante de la mendicité et de tous ses vices765. » — À quoi bon des palliatifs ou des opérations violentes contre un mal qui est dans le sang et qui tient à la constitution même du corps social ? […] « À Paris, dit Mercier778, il est mou, pâle, petit, rabougri, maltraité, et semble un corps séparé des autres ordres de l’État.

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