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432. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Étienne de La Boétie. L’ami de Montaigne. » pp. 140-161

Toutes greffes ne conviennent point à tous les arbres : le cerisier refuse la pomme, et le poirier n’adopte point la prune : ni le temps ni la culture ne peuvent l’obtenir d’eux, tant les instincts répugnent. […] Elle en réserve la perfection et l’exquise délicatesse pour les femmes qui ont su rester fidèles aux vertus de leur sexe, et pour les hommes qui savent le leur pardonner, mais qui, près d’elles et avec les années, y retrouvent leur compte : « Quand elles n’ont point usé leur cœur par les passions, leur amitié est tendre et touchante ; car il faut convenir, à la gloire ou à la honte des femmes, qu’il n’y a qu’elles qui savent tirer d’un sentiment tout ce qu’elles en tirent. » J’insiste sur cette espèce et cette qualité d’amitié que Montaigne a oubliée et qu’il semble avoir regardée d’avance comme impossible ; elle est le produit d’une culture sociale très perfectionnée. […] Pour corriger ce que le Discours de La Boétie, ainsi reproduit, semblait avoir de provoquant en face de Louis XVI, on y disait par précaution, à la fin de la préface : « Le Discours de La Boétie ne convient que dans ces cas où il y a de grandes injustices. » Puis on faisait un portrait supposé, ou par allusion, d’un chef de la noblesse oppresseur, d’un chef de la justice prévaricateur, d’un Premier ministre despote : Voilà peut-être, concluait-on, contre qui le Discours de La Boétie peut avoir quelque force ; mais contre la monarchie il n’en peut avoir, au moins parmi nous.

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