Ainsi donc, pour atteindre et venir à la matière que j’ai entrepris de commencer, premièrement par la grâce de Dieu et de la benoîte vierge Marie dont tout comfort et avancement viennent, je me veux fonder et ordonner sur les vraies Chroniques jadis faites et rassemblées par vénérable homme et discret seigneur Monseigneur Jean le Bel, chanoine de Saint-Lambert de Liège, qui y mit grand’cure et toute bonne diligence et les continua toute sa vie le plus exactement qu’il put, n’y plaignant aucuns frais ni dépenses ; car il étoit riche et de grands moyens, et de plus il étoit large, honorable et courtois par nature, et dépensant volontiers du sien… L’histoire alors était un luxe : elle supposait des voyages coûteux, des fréquentations illustres, des relations étendues : ne s’y appliquait pas qui voulait ; c’était comme un office noble attenant aux seigneuries. […] Ainsi ai-je rassemblé la haute et noble histoire et matière ; et tant que je vivrai, par la grâce de Dieu, je la continuerai ; car d’autant plus j’y suis et plus y laboure, et plus elle me plaît ; tout de même que le gentil chevalier et écuyer qui aime les armes, en persévérant et continuant, s’y nourrit et s’y accomplit, ainsi en travaillant et opérant sur cette matière, je m’habilite et délite (je me rends habile et je me réjouis).