Au dix-huitième siècle, des romanciers contemporains, et qui sont eux-mêmes de l’âge classique, Fielding, Swift, Defoe, Sterne, Richardson, ne sont reçus en France qu’avec des atténuations et après des coupures ; ils ont des mots trop francs, des scènes trop fortes ; leurs familiarités, leurs crudités, leurs bizarreries feraient tache ; le traducteur écourte, adoucit, et parfois, dans sa préface, s’excuse de ce qu’il a laissé. […] Quand Corneille et Racine, à travers la pompe ou l’élégance de leurs vers, nous font entrevoir des figures contemporaines, c’est à leur insu ; ils ne croyaient peindre que l’homme en soi ; et, si aujourd’hui nous reconnaissons chez eux tantôt les cavaliers, les duellistes, les matamores, les politiques et les héroïnes de la Fronde, tantôt les courtisans, les princes, les évêques, les dames d’atour et les menins de la monarchie régulière, c’est que leur pinceau, trempé involontairement dans leur expérience, laissait par mégarde tomber de la couleur dans le contour idéal et nu que seul ils voulaient tracer. […] À part Charles XII, un contemporain que Voltaire ranime grâce aux récits de témoins oculaires, à part les vifs raccourcis, les lestes croquis d’Anglais, de Français, d’Espagnols, d’Italiens, d’Allemands qu’il sème en courant dans ses contes, ici encore où sont les hommes ?