Mais si quelque trait de cette barbarie que nous venons de peindre, peut s’appliquer à quelques-uns de nos contemporains, loin de nous retracter, nous nous applaudirons d’avoir présenté ce tableau à quiconque rougira ou ne rougira point de s’y reconnoître. […] Que l’on suppose ce concert unanime, tel qu’il devroit être ; tous les Poëtes, tous les Historiens, tous les Orateurs se répondant des extrémités du monde, & prêtant à la renommée d’un bon roi, d’un héros bienfaisant, d’un vainqueur pacifique, des voix éloquentes, & sublimes pour répandre son nom & sa gloire dans l’univers ; que tout homme qui par ses talens & ses vertus aura bien mérité de sa patrie & de l’humanité, soit porté comme en triomphe dans les écrits de ses contemporains ; qu’il paroisse alors un homme injuste, violent, ambitieux, quelque puissant, quelqu’heureux qu’il soit, les organes de la gloire seront muets ; la terre entendra ce silence ; le tyran l’entendra lui-même, & il en sera confondu. […] Celui qui se transporte dans l’avenir & qui joüit de sa mémoire, travaillera pour tous les siecles, comme s’il étoit immortel : que ses contemporains lui refusent la gloire qu’il a méritée, leurs neveux l’en dédommagent ; car son imagination le rend présent à la postérité.