« Lorsqu’il venait à considérer que cette créature qui brilla a la Cour avec plus d’éclat qu’aucune femme de son siècle n’était plus, que ses enchantements avaient disparu, que c’en était fait pour jamais de cette personne qui l’avait choisi entre tant d’autres, il s’étonnait que son âme ne se séparât pas de son corps. […] Un jour qu’il se promenait avec son ami l’évêque de Comminges (Gilbert de Choiseul), dans le diocèse de ce dernier et à un endroit fort solitaire, d’où l’on découvrait d’assez près les hautes montagnes des Pyrénées, l’évêque, remarquant l’attention avec laquelle Rancé considérait ces lieux sauvages, y soupçonna du mystère : « Apparemment, monsieur, lui dit-il, vous cherchez quelque lieu propre à vous faire un ermitage. » Rancé se prit à rougir et n’en disconvint pas. — « Si cela est, repartit l’évêque, vous ne pouvez mieux faire que de vous adresser à moi ; je connois ces montagnes, j’y ai passé souvent en faisant mes visites : j’y sais des endroits si affreux et si éloignés de tout commerce, que, quelque difficile que vous puissiez être, vous aurez lieu d’en être content. » Rancé, avec sa vivacité naturelle, prenant cette parole à la lettre, pressait déjà M. de Comminges de les lui montrer : « Je m’en garderai bien, lui répondit le prélat en souriant, ces endroits sont si tentants, que, si vous y étiez une fois, il n’y auroit plus moyen de vous en arracher. » C’était en vain que cet évêque aimable et d’autres amis conseillaient à Rancé, jusque dans son repentir, « cette juste médiocrité qui fut toujours le caractère de la véritable vertu. » Cette médiocrité était précisément ce qu’il y avait de plus contraire à son humeur et de plus insupportable à ses pensées.