/ 1882
589. (1753) Essai sur la société des gens de lettres et des grands

Un tel spectacle considéré avec les yeux d’une raison éclairée et tranquille, serait plus que suffisant pour consoler un vrai philosophe de la privation d’une multitude de suffrages frivoles. […] Quand je considère attentivement l’empire littéraire, je crois voir une place publique, où une foule d’empiriques montés sur des tréteaux, appellent les passants, et en imposent au peuple qui commence par en rire, et qui finit par être leur dupe. […] Quand on considère avec attention les étrangers transplantés parmi nous, et qu’on rapproche leurs personnes des éloges que nous leur prodiguons, on découvre rarement d’autres motifs à ces éloges, qu’une prévention ridicule en notre faveur, jointe à l’envie de rabaisser nos compatriotes. […] Les gens de lettres qui font leur cour aux grands, forment différentes classes ; les uns sont esclaves sans le sentir, et par conséquent sans remède ; d’autres s’indignant du personnage désagréable auquel on les force, ne laissent pas de le supporter constamment par l’avantage qu’ils se flattent d’en retirer pour leur fortune ; c’est leur faire grâce que de les plaindre : ils pourraient facilement se convaincre, par eux-mêmes, que ce moyen de parvenir à la fortune est encore plus long qu’il n’est sûr, et considérer par combien de complaisances ou de bassesses ils achètent le plus petit service. […] Il est une dernière sorte d’amateurs qui méritent avec quelque raison d’être plus considérés que les autres, et qu’on peut regarder comme des protecteurs plus réels de la littérature ; ce sont ceux qui cherchent à contribuer au progrès des sciences et des arts par leurs bienfaits.

/ 1882