Il s’est dit qu’à toutes les époques l’histoire des nations a tenu toute, en définitive, dans la conscience et les passions de quelques hommes ; que le dessous de cartes de l’Histoire est une suite de biographies ; qu’il y a beaucoup plus d’influences personnelles dans ce monde que de force des choses ; et ainsi il a effacé, pour sa part, le mot obscur qu’on élève dans l’histoire quand on ne la comprend plus et que le sens des hommes échappe, et renversé autant qu’il l’a pu ce phare de ténèbres qui redouble la grande ombre des événements passés, au lieu de la dissiper. […] c’est non seulement être conséquent au vrai principe de l’Histoire et la puiser à sa source la plus pure et la plus reculée, — la conscience, — mais, de plus, c’est justifier l’idée qui plane comme une vérité sur tout l’ouvrage, à savoir : que la Révolution française, l’une des plus grandes catastrophes de désordre qui aient jamais existé, pouvait très bien être évitée, comme peuvent l’être, du reste, tous les crimes et toutes les fautes imputables, soit aux hommes, soit aux sociétés. […] Si l’expérience et l’observation ne lui avaient enseigné la consubstantialité des hommes et des choses dans les manifestations de l’histoire, s’il n’avait pas vu qu’à tous les âges du monde les hommes qui ont trempé au plus profond d’une époque, qui en occupèrent les avenues et les hauteurs, laissent sur elle l’éclatant honneur ou l’éclatante infamie de leur caractère ou de leurs passions, — de leur humanité, enfin, qu’elle ait été vertueuse ou scélérate, — il se serait épargné, et à nous aussi, l’inutile détail de ces consciences corrompues, de ces personnalités abjectes, de toutes ces grandeurs apocryphes qui, quand on les touche d’un doigt ferme, se rétractent en de honteuses politesses ou coulent en fange sur la main. […] Chaque détail, sévèrement étudié, entraîne un jugement, et ce jugement est d’un esprit ferme, qui a vu, par-dessous les illusions grandissantes, le fonds et le tréfonds des grands coupables qu’on croit des grands hommes, et qui est revenu de l’abîme de toutes ces consciences comme Dante revint de son Enfer.