Son nom, connu de tous, éveille, dès qu’on le prononce, des passions en bien des sens et mille questions à la fois, des discussions de toutes sortes, politiques, sociales ; la seule question littéraire est absente et fait défaut, à ce qu’il semble. […] Son premier écrit, Émile, publié en 1827 à l’âge de vingt et un ans, a été le point de départ de tout son développement ; c’est la clef de sa conduite ultérieure et de ses doctrines ; c’est aussi l’anneau par où il se rattache au passé et à toute une famille d’esprits que nous connaissons et qui est nôtre. […] Ce qui frappe le plus dans ce roman d’Émile, fait et publié par un auteur de vingt et un ans « qui a connu la souffrance à l’âge où les jeunes gens, en général, ne connaissent encore que le plaisir », c’est l’expérience précoce du monde, la connaissance anticipée des hommes. […] Ceux qui l’ont connu à cet âge de première jeunesse et à cette heure de transition nous le dépeignent le plus charmant jeune homme, d’une figure agréable, très-distingué de tournure, très-élevé de sentiments, tout à fait de race ; tel d’ailleurs de caractère et d’humeur qu’on le voit encore aujourd’hui dans l’intimité, avec des intermittences de gaieté et de sérieux, habituellement doux comme un enfant, naïf même, et, quand il le faut, d’une audace, d’une vaillance et d’une intrépidité rares ; ayant naturellement le goût du bien, mais subissant l’influence des divers milieux. […] Les individus en eux-mêmes, on vient de le voir, n’avaient rien d’hostile : ces deux hommes que six années d’âge distançaient à peine et qui n’étaient séparés que par une génération, ne se connaissaient pas, ils ne s’étaient peut-être jamais vus auparavant, ils n’avaient certainement pas causé ensemble ; ils n’avaient rien de personnel l’un contre l’autre.