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1611. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « L’abbé Prévost »

Avec infiniment moins d’ambition qu’aucun, il a son point sur lequel il est autant hors de ligne : Manon Lescaut subsiste à jamais, et, en dépit des révolutions du goût et des modes sans nombre qui en éclipsent le vrai règne, elle peut garder au fond sur son propre sort cette indifférence folâtre et languissante qu’on lui connaît. […] Il y touche cet état moral de son âme en traits ingénus et suaves qui marquent assez qu’il n’est pas guéri : « Je connois la foiblesse de mon cœur, et je sens de quelle importance il est pour son repos de ne point m’appliquer à des sciences stériles qui le laisseraient dans la sécheresse et dans la langueur ; il faut, si je veux être heureux dans la religion, que je conserve dans toute sa force l’impression de grâce qui m’y a amené ; il faut que je veille sans cesse à éloigner tout ce qui pourroit l’affoiblir. […] Son roman, — oui, son roman, nonobstant la fille de joie et l’escroc que vous en connaissez, procède en ligne assez directe de l’Astrée, de la Clélie et de ceux de madame de La Fayette. […] Le cardinal de Bissy qui l’avait connu à Saint-Germain, et le prince de Conti, le protégèrent efficacement ; ce dernier le nomma son aumônier. […] Pendant qu’il est captif en Turquie, son maître Salem veut le convertir au Coran ; et comme le marquis, en bon chrétien, s’élève contre l’impureté sensuelle sanctionnée par Mahomet, Salem lui fait le raisonnement que voici : « Dieu, n’ayant pas voulu tout d’un coup se communiquer aux hommes, ne s’est d’abord fait connoître à eux que par des figures.

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