On compterait aisément les pères qui, comme le maréchal de Belle-Isle, surveillent de leurs yeux et conduisent eux-mêmes avec méthode, sévérité et tendresse toute l’éducation de leurs fils Quant aux filles, on les met au couvent ; délivrés de ce soin, les parents en sont plus libres. […] Pour l’achever, on fait venir un danseur maître d’armes, et, toujours en costume d’Amour, elle prend des leçons de maintien et d’escrime. « Tout l’hiver se passe à jouer la comédie, la tragédie. » Renvoyée après le dîner, on ne la fait revenir que pour jouer du clavecin ou déclamer le monologue d’Alzire, devant une nombreuse assemblée. — Sans doute de tels excès ne sont pas ordinaires ; mais l’esprit de l’éducation est partout le même : je veux dire qu’aux yeux des parents il n’y a qu’une vie intelligible et raisonnable, celle du monde, même pour les enfants, et qu’on ne s’occupe d’eux que pour les y conduire ou pour les y préparer. […] Ils chantent, ils dansent, et viennent tour à tour débiter de petits vers de circonstance qui sont des compliments bien tournés286. — À Chantilly, « la jeune et charmante duchesse de Bourbon, parée en voluptueuse Naïade, conduit le comte du Nord, dans une gondole dorée, à travers le grand canal, jusqu’à l’île d’Amour » ; de son côté, le prince de Conti sert de pilote a la grande-duchesse ; les autres seigneurs et les dames, « chacun sous des vêtements allégoriques », font l’équipage287, et, sur ces belles eaux, dans ce nouveau jardin d’Alcine, le riant et galant cortège semble une féerie du Tasse Au Vaudreuil, les dames, averties qu’on veut les enlever pour le sérail, s’habillent en vestales, et le grand prêtre, avec de jolis couplets, les reçoit dans son temple au milieu du parc ; cependant plus de trois cents Turcs arrivent, forcent l’enceinte au son de la musique, et emportent les dames sur des palanquins le long des jardins illuminés Au Petit Trianon, le parc représente une foire, les dames de la cour y sont les marchandes, « la reine tient un café comme limonadière », çà et là sont des parades et des théâtres ; la fête coûte, dit-on, quatre cent mille livres, et l’on va recommencer à Choisy sur plus grands frais. […] » On y invite les gens quinze jours d’avance. « Cette fois, on renversa les tables, les meubles ; on jeta dans la chambre vingt carafes d’eau ; enfin je me retirai à une heure et demie, excédée de fatigue, assommée de coups de mouchoir, et laissant Mme de Clarence avec une extinction de voix, une robe déchirée en mille morceaux, une écorchure au bras, une contusion à la tête, mais s’applaudissant d’avoir donné un souper d’une telle gaieté et se flattant qu’il ferait la nouvelle du lendemain. » — Voilà où conduit le besoin d’amusement.