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250. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Histoire de la littérature anglaise par M. Taine. »

. — Mais il n’y réussit pas suffisamment, dira-t-on ; il a beau décrire à merveille la race dans ses traits généraux et ses lignes fondamentales, il a beau caractériser et mettre en relief dans ses peintures puissantes les révolutions des temps et l’atmosphère morale qui règne à de certaines saisons historiques, il a beau démêler avec adresse la complication d’événements et d’aventures particulières dans lesquelles la vie d’un individu est engagée et comme engrenée, il lui échappe encore quelque chose, il lui échappe le plus vif de l’homme, ce qui fait que de vingt hommes ou de cent, ou de mille, soumis en apparence presque aux mêmes conditions intrinsèques ou extérieures, pas un ne se ressemble14, et qu’il en est un seul entre tous qui excelle avec originalité. […] Le savant critique l’attaque et l’investit, comme ferait un ingénieur ; il la cerne, la presse et la resserre, sous prétexte de l’environner de toutes les conditions extérieures indispensables : ces conditions servent, en effet, l’individualité et l’originalité personnelle, la provoquent, la sollicitent, la mettent plus ou moins à même d’agir ou de réagir, mais sans la créer. […] Nous tous, partisans de la méthode naturelle en littérature et qui l’appliquons chacun selon notre mesure à des degrés différents18, nous tous, artisans et serviteurs d’une même science que nous cherchons à rendre aussi exacte que possible, sans nous payer de notions vagues et de vains mots, continuons donc d’observer sans relâche, d’étudier et de pénétrer les conditions des œuvres diversement remarquables et l’infinie variété des formes de talent ; forçons-les de nous rendre raison et de nous dire comment et pourquoi elles sont de telle ou telle façon et qualité plutôt que d’une autre, dussions-nous ne jamais tout expliquer et dût-il rester, après tout notre effort, un dernier point et comme une dernière citadelle irréductible.

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