Aussi le génie cherche-t-il sans cesse à dépasser la réalité, et nous ne nous en plaignons pas : l’idéalisme alors, loin d’être un mal, est plutôt la condition même du génie ; seulement, il faut que l’idéal conçu, même s’il n’appartient pas au réel coudoyé chaque jour par nous, ne sorte pas de la série des possibles que nous entrevoyons : tout est là. […] Aussi, « ce qui doit mériter la gloire dans l’art, et il faut comprendre sous ce mot toutes les créations de la pensée, c’est surtout le courage ; un courage dont le vulgaire ne se doute pas ; penser, rêver, concevoir de belles œuvres, est une occupation délicieuse, c’est mener la vie de courtisane occupée à sa fantaisie, mais produire ! […] En dernière analyse, le génie et son milieu nous donnent donc le spectacle de trois sociétés liées par une relation de dépendance mutuelle : 1° la société réelle préexistante, qui conditionne et en partie suscite le génie ; 2° la société idéalement modifiée que conçoit le génie même, le monde de volontés, de passions, d’intelligences qu’il crée dans son esprit et qui est une spéculation sur le possible ; 3° la formation consécutive d’une société nouvelle, celle des admirateurs du génie, qui, plus ou moins, réalisent en eux par imitation son innovation.