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318. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre troisième »

Corneille, dans ce chef-d’œuvre, n’a rien conçu d’absolu, ni la passion sans quelques remontrances secrètes du devoir, qui la troublent lors même qu’elle est la plus forte, et qui la contraignent à se voiler ; ni le devoir sans que la passion s’insinue jusque dans ses protestations les plus exaltées, et qu’il ne ressemble par moments à la passion elle-même se donnant le change. […] Le plus souvent cet héroïsme n’est pas au-dessus des grandes âmes ; il n’excède pas ce qu’en fait de vertus nous concevons de possible par la comparaison et par l’expérience de nos vertus médiocres. […] Le poète conçoit d’abord des caractères qu’il emprunte soit à l’histoire, soit aux traditions religieuses ; il les place au milieu d’événements vrais ou vraisemblables, avec des passions et des intérêts opposés, dont la lutte donne naissance aux situations. […] Mais il est une autre vérité bien plus profonde et plus attachante : c’est celle qui résulte de caractères fortement conçus, ou plutôt empruntés vifs à la nature pour la scène, dont les passions, très compliquées au milieu d’événements très simples, ont assujetti à leur empire ou employé à leur service toutes les facultés de l’homme. […] Il tomba au-dessous de lui-même le jour où, pour nouer par l’intrigue des situations surprenantes, il employa le même esprit qui avait fait sortir de caractères bien conçus et admirablement tracés des situations fortes, naturelles et prévues.

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