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317. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre deuxième »

Dans cette solitude, si opiniâtrement défendue contre tout le monde, contre sa gloire même, qui attirait tous les yeux du côté d’où partaient des lumières si nouvelles, il conçut et mit à fin l’ouvrage étonnant qu’il appela d’abord l’Histoire de son esprit 21. […] Il les appelle innées, parce que nous naissons avec la faculté de les concevoir. […] Ce que Descartes veut croire avec certitude, c’est ce qu’aurait cru un païen, c’est ce que croirait en tous pays et en tout temps un homme doué de raison, capable de concevoir un premier principe et d’en tirer des conséquences. […] Il y avoue que, s’il a choisi le livre de Sénèque pour le proposer comme un entretien qui pourrait être agréable à cette princesse, « il a eu seulement égard à la réputation de l’auteur et à la dignité de la matière, sans penser à la façon dont il la traite, laquelle ayant depuis été considérée, ajoute-t-il, je ne la trouve pas assez exacte pour être suivie25. » Ailleurs il dit : « Pendant que Sénèque s’étudie ici à orner son élocution, il n’est pas toujours assez exact dans l’expression de sa pensée26. » Et plus loin : « Il use de beaucoup de mots superflus. » Et encore, parlant de diverses définitions que donne Sénèque du souverain bien : « Leur diversité, dit-il, fait paraître que Sénèque n’a pas clairement entendu ce qu’il voulait dire : car, d’autant mieux on conçoit une chose, d’autant plus est-on déterminé à ne l’exprimer qu’en une seule façon27. » Ce jugement admirable est une critique indirecte de Montaigne, et accuse en général la façon de penser du seizième siècle, où l’on goûtait si fort cette inexactitude de Sénèque. […] La première chose d’ailleurs impliquait la seconde ; car comment concevoir la perfection d’une langue sans la parfaite conformité des idées qu’elle exprime avec le génie du pays qui la parle ?

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