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198. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre IV. Comparaison des variétés vives et de la forme calme de la parole intérieure. — place de la parole intérieure dans la classification des faits psychiques. »

Les caractères de la parole subsistent encore en elle, mais effacés ; elle paraît moins une parole ou quelque chose de la parole qu’un élément ou une détermination de la pensée ; son rapport avec la parole semble si faible et si lointain qu’il faut pour le reconnaître un véritable effort de réflexion ; au contraire, on ne la conçoit pas sans la pensée ni la pensée sans elle ; elle est comme un vêtement dont la pensée est toujours revêtue à nos yeux et sans lequel nous ne la reconnaîtrions pas. […] A l’appui de cette dernière affirmation, nous citerons l’observation suivante, déjà préjugée plus haut, mais sur laquelle il est bon de revenir et d’insister : La parole intérieure calme, écho d’un écho, n’a point elle-même d’écho ; elle ne saurait être plus basse, plus évanouie que nous ne l’avons décrite ; entre l’intensité de la parole intérieure dans la rêverie la plus tranquille, dans l’ennui entrecoupé de bâillements, et le silence intérieur absolu, nous pouvons concevoir un milieu ; mais ce milieu est une pure conception mathématique de notre entendement, et notre imagination, c’est-à-dire notre souvenir, se refuse à la confirmer par les moyens qui lui sont propres. […] C’est ainsi qu’Alfred de Musset dit très exactement : Un vers d’André Chénier chanta dans ma mémoire 235 Mais si, avec des mots du dictionnaire usuel, je forge intérieurement une phrase que je n’ai jamais entendue, ce qui arrive sans cesse, les uns pourront dire que j’imagine, car l’ensemble conçu est nouveau, les éléments seuls sont anciens ; les autres pourront soutenir que, les mots étant faits pour être groupés de mille façons, on n’invente pas dans les mots, c’est-à-dire dans la parole, quand on se borne à les ranger dans un ordre nouveau, mais seulement quand on crée de toutes pièces un mot nouveau. […] Un semblable idéal ne saurait être conçu pour l’imagination, car l’innovation expérimentale ne se suffit pas à elle-même ; elle suppose tout au moins des atomes d’états de conscience qui ne sont pas nouveaux et qui se laissent arranger capricieusement. […] Le concevoir est aisé, le nommer est difficile.

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