Sans vouloir blâmer nos prédécesseurs, on doit dire à leur décharge que le moment d’un semblable recueil n’était pas venu : comment choisir dans les œuvres de nos anciens poètes, quand la plupart étaient ignorés, quand les textes n’étaient point mis en lumière, quand la langue du moyen âge ne se comprenait qu’à peine et qu’elle passait pour tout à fait grossière ? […] Au milieu de la grossièreté des mœurs, nous comprenons par là l’une des délicatesses de l’honneur féodal ; nous en sentons les nuances, et nous mesurons la force du nœud mieux que nous ne l’aurions pu par toutes les définitions ; nous saisissons aussi des accents de nature profonde et d’humanité : ces hommes à la rude écorce et au cœur de chêne avaient des fibres tendres et savaient pleurer. […] Rien n’est plus propre à nous faire comprendre ce qu’aurait été la poésie française, si elle avait su échapper au trop de politesse du xviie siècle, et si, avant de tant chercher à se clarifier au risque de s’affaiblir, elle avait pu arriver, dans un tel génie, ou dans des génies tournés vers d’autres genres, à son entière maturité.