I C’est au moment où l’on publia les Mémoires de Philarète Chasles, auquel je reprochais d’avoir écourté le portrait de Balzac, qui, pour être ressemblant, aurait dû être colossal, que parut la Correspondance de ce grand homme de lettres, comme une immense réplique à Philarète Chasles et à tous ceux qui se sont permis de parler, avec plus ou moins de renseignements ou de fatuité étourdie, de l’auteur de la Comédie humaine. […] Qui oserait toucher irrespectueusement à cette arche de la Comédie humaine et à Balzac, ce Balzac presque insulté, il y a vingt ans, jusque par ce pauvre petit Doudan, qui n’était pas méchant, mais qui eut le tort, toute sa vie, de pondre les jolis œufs qu’on a dénichés depuis, dans un nid d’oies académiques qui les a gâtés ! […] Il avait écrit à jet continu plus de quatre-vingts volumes, parmi lesquels cette Comédie humaine dont il a dit, avec le légitime orgueil qui nous venge de tous nos désespoirs : « Jamais œuvre plus majestueuse et plus terrible n’a commandé le cerveau humain. » La persévérance enflammée de Balzac fut inextinguible… et dans l’ordre moral elle est tout aussi étonnante que sa force de production dans l’ordre intellectuel. […] Je ne sache que Lope de Vega, qui, avec ses dix-huit cents pièces de théâtre, ait plus écrit que Balzac, mais Lope de Vega est plus un nom qu’on prononce qu’une chose intégrale qui se lit, et il n’a pas fait, dans ses œuvres, vingt volumes qui puissent égaler les vingt volumes de la Comédie humaine, qui sont immortels, et qui, si le vieux monde ne tombe pas en enfance, resteront, comme l’Iliade, sous les yeux et dans les préoccupations de l’humanité. […] « Quand la maison est bâtie, — disent les Turcs, — la mort entre. » C’est pour cela, ajoutait Gautier, qu’ils ont toujours un palais en construction quelque part. — Mais ce n’était pas un palais que Balzac, le constructeur des palais de la Comédie humaine interrompue, avait en construction : c’était cent palais ; et ce n’est pas ces cent palais en construction qui ont empêché la mort d’entrer !