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1608. (1899) Esthétique de la langue française « Le cliché  »

Il y a, de jadis, un opuscule grotesque, maintes fois réimprimé et encore colporté ; c’est un Sermon en proverbes ordonné pour satiriser soit les gens qui évoquent trop, par la sagesse des nations, leur propre niaiserie, soit les prédicateurs qui répétaient toujours les mêmes exhortations vaines comme le vent qui égrène l’herbe des cimetières ; le pauvre auteur enfile donc avec un certain soin les proverbes les plus connus, jusqu’à faire quatre pages dont le sens est fort bien suivi et que l’on comprend, pourvu qu’on ne soit pas devenu hébété dès la première : « Prenez garde, n’éveillez pas le chat qui dort ; l’occasion fait le larron, mais les battus paieront l’amende ; fin contre fin ne vaut rien pour doublure ; ce qui est doux à la bouche est amer au cœur, et à la chandeleur sont les grandes douleurs. […] — B…, toujours traité en enfant gâté, dont la volonté et les caprices sont des ordres, ne quittait guère le foyer paternel, où il prenait des habitudes d’oisiveté et de paresse. — N’ayant eu pour le soutenir ni l’affection, ni les conseils de sa mère ; mal surveillé, mal dirigé par un père trop faible qui, toujours en admiration devant son fils, lui passait tous ses caprices, excusait toutes ses fantaisies, à dix-huit ans B… était sceptique et frondeur, ne croyant ni à Dieu ni à diable. — Il était homme à ne reculer devant rien, à n’être arrêté par aucun scrupule. — Aveuglé par son amour paternel, C… ne suivit pas les progrès incessants du mal, cette gangrène morale qui s’empare du cerveau d’abord pour descendre ensuite au cœur. — Il faut que jeunesse se passe. » Voilà le genre. […] Ainsi dans une des phrases citées, le passage : « … cette gangrène morale qui s’empare du cerveau d’abord pour descendre ensuite au cœur ». […] Pour en cueillir aussitôt plusieurs paniers, il suffit d’ouvrir encore une fois Télémaque, ce témoin précieux d’un moment de la langue française : « les pavots du sommeil — une joie innocente — à la sueur de leur front — secouer le joug de la tyrannie — fouler aux pieds les idoles — l’espérance renaît dans son cœur », sont des expressions qui exigent le sourire et qui ne peuvent plus se proférer qu’avec ironie, mais elles furent jeunes, éloquentes et sérieuses.

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