Mme de Civrac étant obligée d’aller aux eaux, ses amis entreprennent de la distraire pendant le voyage ; ils la devancent de quelques postes, et, dans tous les endroits où elle vient coucher, ils lui donnent une petite fête champêtre, déguisés en villageois, en bourgeois, avec bailli, tabellion et autres masques qui chantent et disent des vers Une dame, la veille de Longchamps, sachant que le vicomte de V… a deux calèches, lui en fait demander une ; il en a disposé, mais il se garde bien de s’excuser, et sur-le-champ il en fait acheter une de la plus grande élégance, pour la prêter trois heures : il est trop heureux qu’on veuille bien lui emprunter quelque chose, et sa prodigalité paraît aimable, mais n’étonne pas. […] On y fait de la musique en plein air, au clair de lune, Garat chante et le chevalier de Saint-Georges joue du violon275. […] Ils chantent, ils dansent, et viennent tour à tour débiter de petits vers de circonstance qui sont des compliments bien tournés286. — À Chantilly, « la jeune et charmante duchesse de Bourbon, parée en voluptueuse Naïade, conduit le comte du Nord, dans une gondole dorée, à travers le grand canal, jusqu’à l’île d’Amour » ; de son côté, le prince de Conti sert de pilote a la grande-duchesse ; les autres seigneurs et les dames, « chacun sous des vêtements allégoriques », font l’équipage287, et, sur ces belles eaux, dans ce nouveau jardin d’Alcine, le riant et galant cortège semble une féerie du Tasse Au Vaudreuil, les dames, averties qu’on veut les enlever pour le sérail, s’habillent en vestales, et le grand prêtre, avec de jolis couplets, les reçoit dans son temple au milieu du parc ; cependant plus de trois cents Turcs arrivent, forcent l’enceinte au son de la musique, et emportent les dames sur des palanquins le long des jardins illuminés Au Petit Trianon, le parc représente une foire, les dames de la cour y sont les marchandes, « la reine tient un café comme limonadière », çà et là sont des parades et des théâtres ; la fête coûte, dit-on, quatre cent mille livres, et l’on va recommencer à Choisy sur plus grands frais. […] Le comte de Clermont tient les rôles « à manteaux sérieux » ; le duc d’Orléans représente avec rondeur et naturel les paysans et les financiers ; M. de Miromesnil, garde des sceaux, est le Scapin le plus fin et le plus délié ; M. de Vaudreuil semble un rival de Molé ; le comte de Pons joue le Misanthrope avec une perfection rare292. « Plus de dix de nos femmes du grand monde, écrit le prince de Ligne, jouent et chantent mieux que tout ce que j’ai vu de mieux sur tous nos théâtres. » — Par leur talent, jugez de leurs études, de leur assiduité et de leur zèle ; il est évident que, pour beaucoup d’entre eux, cette occupation était la principale. […] Le duc d’Orléans chante sur la scène les chansons les plus épicées, joue Bartholin dans Nicaise et Blaise dans Jaconde, le Mariage sans curé, Léandre grosse, l’Amant poussif, Léandre étalon, voilà des titres de parades « composées par Collé pour les plaisirs de Son Altesse et de la cour ».