Valmore père et fils61 m’ont permis de jeter les yeux sur le trésor domestique tout intime, qu’ils ont pieusement conservé et mis en ordre, des papiers, notes et correspondance de cet autre tendre et passionné poète, Mme Desbordes-Valmore, qui unissait une délicatesse morale si exquise à un don de chanter si pénétrant, ou plutôt chez qui cette sensibilité et ce don ne faisaient qu’un. […] car Mlle Desbordes joue et débite très bien, mais elle ne chante pas ; elle n’a point de voix : il faudra que les musiciens renoncent, en sa faveur, à leur science, à leur harmonie ; que l’orchestre s’humilie et s’anéantisse : on lui composera exprès des demi-vaudevilles qui seront bien plus agréables que ces grands airs, aussi fatigants pour les auditeurs que pour les cantatrices. » Elle possédait toutes les qualités distinguées et fines ; mais, à lire cet éloge même, on prévoit que la force physique, l’étoffe matérielle qui est la doublure essentielle de ces qualités et qui les porte, pour ainsi dire, dans tout leur relief, fera un peu défaut. […] Puis de là elle revint au théâtre de Rouen, où elle joua seulement les jeunes premières, toujours très accueillie et goûtée du public ; mais elle ne chantait plus : « À vingt ans, dit-elle, des peines profondes m’obligèrent de renoncer au chant, parce que ma voix me faisait pleurer ; mais la musique roulait dans ma tête malade, et une mesure toujours égale arrangeait mes idées, à l’insu de ma réflexion. » La musique commençait à tourner en elle à la poésie ; les larmes lui tombèrent dans la voix, et c’est ainsi qu’un matin l’élégie vint à éclore d’elle-même sur ses lèvres. […] L’actrice se met à chanter : tous les mirlitons de Saint-Cloud étaient à la bouche de nos aimables Français pour l’accompagner. […] C’est ainsi que chantait la dernière Valmore dans le ressentiment de ses jeunes et anciennes douleurs.