Tout en convenant avec lui que les qualités qu’on possède sont loin de se produire toujours ; que c’est l’occasion qui nous révèle aux autres et souvent à nous-même, et que la seule pierre de touche pour bien juger du mérite est qu’il soit mis à sa place, je remarquerai que, dans l’analyse très détaillée et assez naïve qu’il nous donne de son esprit et de son caractère, il nous dit : J’ai un défaut effroyable pour les affaires, qui gâte et qui détruit tout ce que je pourrais avoir de bon : c’est une grande paresse dans l’esprit ; en de certaines occasions, je la peux surmonter par élans ; mais à la longue je prends trop sur moi et j’y retombe toujours ; si bien que je ne serais propre qu’à penser, et encore plus à choisir et à rectifier ; car ce qu’il y a de meilleur en moi, c’est le discernement : mais il faudrait qu’un autre agît. […] Le jour, je me promène sous des hêtres pareils à ceux que Saint-Amant dépeint dans sa Solitude ; et, depuis six heures du soir que la nuit vient, jusqu’à minuit qui est l’heure où je me couche, je suis tout seul dans une grosse tour, à plus de deux cents pas d’aucune créature vivante : je crois que vous aurez peur des esprits en lisant seulement cette peinture de la vie que je mène… Les circonstances qui précédèrent et suivirent ce mariage furent assez singulières, et achevèrent de donner à Lassay, de lui confirmer aux yeux du monde le caractère de bizarrerie et d’excentricité qui tenait plus aux personnes auxquelles il s’était lié, qu’à lui-même. […] Laissons tous ces côtés fugitifs et évanouis, et ne prenons Lassay que par l’endroit où nous pouvons l’atteindre, le seul aujourd’hui qui nous intéresse : prenons-le comme l’un des hommes qui ont eu le plus de connaissance de la société et des caractères. […] Lassay qui, à la mort du prince de Conti, donna sur lui le mémoire qui servit à l’Oraison funèbre prononcée par Massillon (1709), en a tracé un autre portrait ou caractère beaucoup plus vrai, ce me semble, et plus réel, quand ce prince vivait encore. […] Un discernement juste, une humeur douce et aisée, un bon esprit éclairé par un grand usage du monde, et cultivé par beaucoup de lecture ; un cœur qui ne respire que l’amour et qui est rempli de courage ; cette sagesse que l’expérience donne et qui est le partage de la vieillesse, accompagnée de la vivacité et de la gaieté de la jeunesse ; tout cela forme un caractère unique, et tout cela se trouve en M. le marquis de Lassay, que je vous prie d’embrasser tendrement pour moi.