S’il examine alors cette connaissance, il est tenté de la prendre pour un acte simple et nu, dépourvu de tout caractère, sauf son rapport avec la sensation passée qui est son objet. Partant il est disposé à considérer cette connaissance comme un acte pur d’attention, acte d’espèce unique, incomparable à tout autre, dont l’essence, toute spirituelle, consiste en cela seulement qu’il nous met en communication avec notre passé. — Mais si cet acte lui paraît spirituel et pur, c’est qu’il est vide ; il l’a vidé lui-même en lui retirant tous ses caractères, pour les poser à part et fabriquer avec eux l’objet. […] Dans cette opération, l’acte perd tout ce que l’objet gagne ; il se fait un transvasement de caractères, au détriment du premier, au profit du second. […] Lorsque le paysage, la figure agissante, le geste et la voix du personnage commencent à surgir et à se préciser, on attend, on retient son souffle ; quelquefois alors, tout apparaît tout d’un coup ; d’autres fois, c’est lentement, après des intervalles de sécheresse. — Mais, dans les deux cas, ce qui apparaît est attendu, voulu, ou du moins compris dans le cercle lâche des images attendues et voulues, puis tout de suite employé, mis à profit par la main qui écrit et note, partant suivi à l’instant de sensations répressives, en tout cas marqué dès sa naissance d’un caractère particulier qui est la propriété d’éclore par un effort personnel, dans une direction prévue, après une recherche préalable, comme un effet du dedans et non comme une impression du dehors ; de sorte que, après un éclair et un éblouissement, les sensations habituelles, tactiles, musculaires ou visuelles, peuvent sans difficulté reprendre leur ascendant normal, et, jointes à la file des souvenirs positifs, refouler le fantôme affaibli dans le monde imaginaire. — Une suite d’hallucinations très courtes qui, étant voulues, peuvent être et sont effectivement rompues et niées à chaque instant par la perception plus ou moins vague du monde réel, voilà la vision pittoresque ou poétique, très différente, comme le dit M. […] Dans ce dédoublement, quand nous avons posé d’un côté le fantôme avec tous ses caractères distinctifs, il ne nous reste plus rien pour constituer de l’autre côté l’acte de connaissance.